Arrêtez d’avoir des opinions ! Forgez vos avis !

Laurent Bouguennec – 29 septembre 2023

Lecture de 4 min

Un lundi matin banal à la machine à café.

Les banalités sur le weekend passé en famille, la météo, tous les classiques y passent.

Jusqu’au moment où le sujet qui va faire débat entre en jeu.

Et là, chacun y va de son opinion sachant qu’évidemment 80 % des personnes n’ont pas de connaissances ou n’ont pas réfléchi au sujet. (Pareto arbitraire – loi du 20/80 – qui ne doit pas être si loin de la vérité.)

Que ce soit entre amis, au bureau, lors d’un repas de famille ou sur les réseaux sociaux, tout le monde a une opinion sur tout…mais pas d’avis sur grand-chose.

Pour bien faire le distinguo :

– Une opinion c’est un jugement personnel. Ce que l’on pense à chaud.

– Un avis c’est le résultat d’une réflexion. Ce que l’on sait après une démarche d’analyse.

Mais d’où viennent nos opinions ?

La construction de nos opinions trouve ses origines dans :

notre histoire de vie (apprentissages et expériences),
notre environnement (moral, social, culturel…),
notre consommation d’informations quotidienne : livres, TV, échanges avec des personnes, communications au boulot, hommes et femmes politiques…
qui nous sommes (nos valeurs, nos croyances, nos besoins)

Imparfaites, nos opinions sont soumises à nos biais cognitifs :

Biais d’ancrage
Biais d’exposition
Biais du survivant
Biais de confirmation
Biais d’engagement
Effet de similarité
Et bien d’autres

Nous voilà devenus défenseurs, parfois même prosélytes, d’idées sans même les avoir questionnées.

Le prix des opinions

Ce non-questionnement n’est pas sans conséquence.

Des opinions irréfléchies ou encore lancées à tout va, deviennent croyances, et influencent nos vies.

2 exemples pour illustrer ce point :

1. Exemple d’Eric

Éric occupe une poste d’expert métier et il est en lice pour une promotion.

Lors d’un déjeuner avec un ami et ex-collègue, celui-ci lui fait part de son retour d’expérience de la méthode Agile en place dans son nouvel environnement et des conséquences négatives pour lui.

Éric découvre cette méthode et le biais d’ancrage instille l’opinion « méthode Agile = danger ».

Quelque temps plus tard, l’entreprise d’Éric décide d’adopter la méthode Agile pour ses futurs projets.

Éric, accroché à son opinion, prend une posture de détracteur de la méthode.

Non-coopération et critique sont au rendez-vous.

Sa direction le rappelle à l’ordre plusieurs fois sans succès.

Le biais d’engagement pousse Éric à conserver sa position et à ignorer ces mises en garde.

Lors de son évaluation, sa direction lui signale sa non-promotion due à son manque de coopération des derniers mois.

2. Exemple de Manon

Manon vient d’être nommée manageuse.

Prenant à cœur cette nomination, elle lit un article retraçant le parcours d’une personnalité d’affaires célèbre qui détaille sa méthode de management d’équipes.

Le biais du survivant s’active et vient créer l’opinion que c’est LA bonne solution.

Ni une ni deux, Manon décide de reproduire le schéma pour son équipe.

Durant le premier trimestre, des tensions apparaissent dans l’équipe. La contestation monte face aux nouvelles méthodes proposées.

Au bout de 6 mois, lors d’un point suite à sa prise de poste, les RH signalent à Manon que des mécontentements quant à sa manière de gérer l’équipe leur sont arrivés aux oreilles.

Le biais d’engagement pousse Manon à conserver sa position et à maintenir le cap.

Bilan 1 an après, hausse du turnover et de l’absentéisme et une plainte déposée auprès d’un syndicat, Manon est retirée de son poste et mettra des années à se relever de cet échec professionnel.

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Comment se forger un avis ?

La clef : l’esprit critique

Manon et Éric pouvaient éviter ces situations en se forgeant un avis.

Comment ?

En utilisant le pont qui permet de passer d’une opinion à un avis : l’esprit critique.

Cette démarche qui consiste à examiner attentivement une affirmation ou information avant de l’accepter.

C’est un sujet sur lequel je suis sensibilisé depuis ma jeunesse.

Ma prise de conscience initiale a été en regardant le film PROFS.

Patrick Bruel incarne un prof de français et de philosophie. Il donne une analyse de texte à ses élèves après avoir pris soin de modifier le nom de l’auteur et de changer certaines parties du texte.

Évidemment, tous tombent dans le panneau (pas de Chat GPT pour faire le boulot à leur place à l’époque).

Il leur répond : « Ne gobez pas tout ce qu’on vous raconte, un prof c’est pas sacré, d’ailleurs rien n’est sacré, il faut douter de tout »

Cette phrase m’a marqué.

2 façons concrètes d’utiliser l’esprit critique

Voici 2 façons concrètes d’utiliser l’esprit critique pour se forger un avis :

Chercher de l’information de tous côtés.

Être curieux et explorer les arguments des uns et des autres pour challenger son opinion initiale.

Se confronter à un débat contradictoire

Confronter son opinion à des personnes ayant un point de vue différent.

Malheureusement nous vivons une période de l’histoire où le désaccord est confondu avec désamour.

Du coup nous fuyons ces débats pourtant salvateurs.

Reprenons le cas d’Éric.

Avec un marteau, nous pouvons construire comme détruire.

C’est un risque inhérent à toutes les méthodes et outils.

Éric aurait pu se renseigner sur les 2 extrêmes de la méthode Agile :

Pourquoi c’est super ?
Pourquoi c’est dangereux ?

En se renseignant, il aurait rapidement identifié que ce n’est pas la méthode Agile qui est mise en place chez son ex-collègue, mais un ersatz dépouillé de sa philosophie.

Reprenons le cas de Manon.

Décider seul sur un coup de tête est dangereux.

En partageant son idée avec son équipe, son propre manageur ou ses pairs, elle aurait eu différentes réponses alimentant sa réflexion avant de prendre une décision.

Différence de cultures d’entreprise,
Historique de la société sur ce sujet,
Période de l’histoire différente,
Différence de génération d’équipe à manager,
Le fait que la personnalité prise en référence a été mise en prison pour harcèlement quelques années après la parution du livre,
…

Aboutir à un avis c’est partir de son opinion et se demander :

Qu’est-ce que je garde ? enlève ? ajoute ? modifie ? en fonction de son analyse

" L’important n’est pas de savoir lire mais de savoir ce qu’on lit, de raisonner sur ce qu’on lit, d’exercer un esprit critique sur la lecture. En dehors de cela, la lecture n’a aucun sens. "

Jacques Ellul

Nous sommes influençables.